Représentation BVA au ministre des Finances
Sainte-Marie, le 28 septembre 2017
Ministre des Finances
L’honorable William Francis Morneau
Ministère des Finances
90, rue Elgin Ottawa (Ontario) K1A 0G5
Monsieur le Ministre,
Blanchette Vachon, s.e.n.c.r.l. est une firme comptable de la Beauce au service des PME depuis 1963. Elle compte plus de 170 professionnels. La Beauce, cela est bien connu, est un bastion notoire de PME innovantes et créatrices d’emplois animé par des générations d’entrepreneurs que l’on a appelé « le miracle beauceron ».
Nous vous soumettons respectueusement nos commentaires en réponse aux consultations publiques publiées le 18 juillet 2017.
Quant au fractionnement de revenus de dividendes issus de sociétés privées :
Les mesures assujettissent le dividende reçu par certains actionnaires à des tests d’apports en main-d’oeuvre et en capital. Nous considérons que le test proposé est subjectif et enlève la prévisibilité dans le régime fiscal. On risque de faire traîner les vérifications fiscales et d’embourber les tribunaux, ce qui est moins efficace et plus coûteux pour la collecte d’impôts.
- Il existe des moyens plus simples et plus objectifs de déterminer avec une meilleure assurance si le dividende versé à une personne est du revenu fractionné ou non.
- Les tests sont plus difficiles à rencontrer pour les 18-24 ans, ce qui nous semble être de la discrimination en fonction de l’âge, peu importe les raisons pour lesquelles on arrive à une telle mesure.
- On ne devrait pas viser les conjoints en se fiant aux données produites dans le document du ministère des Finances. Plus de 68 % des revenus de dividendes répartis par les fiducies sont versés aux femmes. Cette donnée est contemporaine et pourrait se renverser dans le temps. Nous allons vous démontrer en quoi il serait discriminatoire, selon nous, de pénaliser les personnes en fonction de leurs choix familiaux.La décision de se lancer en affaires en est souvent une familiale. Un conjoint travaille plus aux tâches familiales tandis que l’autre conjoint s’investit corps et âme dans l’entreprise. Dans cet exemple, si les deux conjoints travaillaient autant, l’éducation des enfants serait hypothéquée, de même que le couple lui-même. C’est un choix familial et la rémunération en dividende n’est qu’un moyen équitable de reconnaître cette situation.Le salaire que l’on verserait au conjoint non actif ne répondrait pas au critère de déductibilité en pareille situation. Des structures ont donc été mises en place pour permettre le versement de dividendes non déductibles, mais moins pénalisants d’un point de vue personnel. Lorsque l’entrepreneur met sa résidence personnelle en collatéral contre les emprunts commerciaux de l’entreprise, l’autre conjoint est aussi impliqué. Lui refuser les avantages fiscaux sur la base subjective qu’il n’est pas actif ou qu’il n’est pas impliqué financièrement a quelque chose de choquant.
- Devant des dividendes imposés plus lourdement dans les mains du conjoint non actif que dans les mains du conjoint actif, certains dividendes destinés à ces personnes pourraient ne plus être versés ce qui leur enlève une indépendance financière. Le choix de vie que le couple a fait était fondé en partie sur cette prémisse de fractionnement. L’enlever à mi-chemin, sans régime de droits acquis quelconque, est une injustice importante envers ces couples et ces familles qu’il faut dénoncer.
- Les gens en affaires incorporés se servent aussi de ce véhicule pour pouvoir prendre du temps avec leur nouveau-né. La corporation devient un véhicule d’accumulation de capital pour pallier les revenus manquants durant cette période. Le fractionnement du revenu est alors une compensation pour le manque de programmes sociaux accessibles aux gens d’affaires. Les mesures annoncées vont pénaliser sévèrement cette situation.
- Considérant que les plus hautes tranches d’imposition excéderont 200 000 $ en 2018, et que l’impôt sur le revenu fractionné se calcule selon les taux les plus élevés, l’application de l’impôt fractionné au conjoint fera en sorte, dans bien des cas, de l’assujettir à un taux d’imposition plus élevé que le conjoint « actif » dans la PME à qui on reproche de fractionner « son » revenu! Nous ne voyons pas comment un tel résultat peut être jugé équitable. Ceci s’apparente davantage à une amende ou une sanction injustifiable et inéquitable vis-à-vis les autres Canadiens.
- Le fractionnement de revenu n’est pas un crime. Des juridictions comme les États-Unis d’Amérique le permettent à tous leurs contribuables en couple. Une manière équitable d’aborder cette stratégie serait de le permettre à tous les couples du Canada.
Quant à la limitation de l’exonération pour gain en capital
- On remarque que les mineurs ne pourront se prévaloir de cette exonération, et ce, même dans les cas où ils auraient fondé leur propre entreprise. Ceci n’est pas de la science-fiction. Cela s’est produit par le passé et est de susceptible de se reproduire davantage dans le futur à l’ère technologique dans laquelle nous vivons. Ceci nous apparaît être de la discrimination en fonction de l’âge.
- Imposer pour le membre de la famille non « actif » dans l’entreprise le même test au niveau du gain en capital qu’au niveau du dividende annuel pour se soustraire à l’impôt sur le revenu fractionné nous pose toutes sortes de problèmes de « timing » considérant que le gain s’accroît au fil des années, mais pas de façon proportionnelle. Les lois fiscales sont déjà difficiles à interpréter, cette mesure en ajoute une couche supplémentaire.
- Il semble qu’il soit impossible, selon les mesures proposées, d’accumuler des valeurs sujettes à l’exemption pour gain en capital par le véhicule fiduciaire. Ceci confronte l’actionnaire, même actif, entre sa planification fiscale et son mode de détention. Sa décision a un caractère irréversible ce qui est déplorable considérant que l’effet de la perte de l’exemption est rétroactif au jour où la fiducie a souscrit au capital-actions. Nous reconnaissons qu’il y a un choix de prévu, mais ceci force l’actionnaire à cristalliser ses actions avec les effets accessoires sur divers crédits d’impôt de même que de devoir supporter l’impôt minimum sans même avoir encaissé le produit de disposition de ses actions. Cet impôt minimum, bien que remboursable sur une période maximale de 7 ans, peut parfois dépasser 50 000 $.
- Il en va de même pour le fiduciaire chargé de détenir des actions pour des membres d’une famille donnée. Ils devront soit recommander de remettre en mains propres les actions aux bénéficiaires (ce qui va à l’encontre des objectifs de la fiducie), soit émettre des billets à demande, ce qui vulnérabilise la fiducie dans son rôle de protection du bien d’autrui, soit passer outre le choix de cristalliser le gain encouru en 2018.
- Un régime transitoire équitable à cet égard devrait prévoir une reconnaissance du gain admissible à l’exonération par la fiducie (ou par le particulier) sans devoir cristalliser de façon similaire aux règles de 1971 lors de l’avènement de l’imposition du gain en capital. Ainsi, les objectifs d’affaires et commerciaux des structures existantes ne seraient pas compromis pour des raisons purement fiscales.
Quant aux dispositions empêchant la conversion du revenu en gain en capital
- Bien que l’on nous eût mentionné qu’un document consultatif serait transmis, nous avons été surpris de constater que certaines des mesures consultatives ont été publiées parallèlement sous forme de projet de loi dont certaines ayant effet dès le 18 juillet 2017. Ceci cause des problèmes à l’égard de certaines transactions légitimes entamées à cette date. Des frais parfois importants ont été engagés en fonction des lois et de la jurisprudence actuelles. Nous pensons spécifiquement aux amendements proposés à l’article 84.1 LIR. On propose d’étendre la notion de coût fiscal des actions « avec lien de dépendance » ou « PBR mou » à toute transaction avec lien de dépendance, sans égard au fait que la personne ayant un lien de dépendance ait pu bénéficier ou non d’un allégement fiscal lors du transfert de ses actions à la personne liée. Il devient ainsi impossible d’extraire d’une société privée la portion déjà imposée sous forme de gain en capital par un parent par exemple sans impôt. Ceci vient, en quelque sorte, institutionnaliser la double imposition à ces transactions ce qui va à l’encontre de la politique fiscale canadienne. L’effet est rétroactif, ce qui est encore plus accablant.L’objectif de transfert intergénérationnel d’entreprise fiscalement neutre est loin d’être atteint sur cette base.Prenez une planification de transfert d’entreprise échelonnée sur quelques années dans le passé et inachevées au 18 juillet 2017. Cela donnerait des résultats complètement différents de la même transaction complétée avant cette date. Inutile de rappeler à quel point l’impôt rétroactif est une notion abjecte et à proscrire dans un système fiscal qui se veut neutre, juste et équitable.
- Encore plus questionnable est l’effet pervers de cette mesure sur la stratégie dite du pipeline, vieille de 45 ans, qui permet aux successions d’éviter la double imposition au décès d’un actionnaire de société privée. Une succession devra dorénavant recourir à la technique dite du « par.164(6) LIR » pour éviter la double imposition et de pouvoir remettre les biens de la société privée dans les mains de la succession sous forme de dividende imposable en éliminant l’impôt sur le gain en capital du défunt.Cette planification est généralement moins performante selon les taux d’impôts en vigueur que celle dite du pipeline, mais tout de même moins pénalisante que la double imposition, soit l’impôt au décès sur les actions et l’impôt sur le dividende au rachat d’actions. Par contre, la succession ne bénéficie que d’une année pour mener à bien cette planification. Et c’est là que le bât blesse. Imaginez-vous une succession d’une personne défunte au début août 2016 qui avait envisagé de faire la technique du pipeline, mais non complétée au 18 juillet 2017. Cette succession, le jour où elle apprendra que le pipeline ne donne plus les résultats escomptés, risque de se retrouver hors délai puisque le délai maximal d’un an était presque atteint le 18 juillet 2017. Cette succession est sujette à double imposition sans qu’il soit possible d’y remédier. On voit qu’elle n’a pas bénéficié de chances égales puisque les délais ont croisé le 18 juillet 2017.Pour que le résultat soit équitable et puisqu’il est impossible de décaler le début de la période d’une année aux fins du par. 164(6) LIR, il serait à étudier de prolonger la période d’une année pour les successions existantes depuis moins de 365 jours au 18 juillet 2017.Cette technique du par.164(6)LIR coûte beaucoup plus cher fiscalement que celle du pipeline malgré le même objectif de contrer la double imposition au décès, principe endossé par le législateur depuis toujours. Le décès entraîne pour un particulier l’imposition de sa plus-value sous forme de gain en capital de tous ses biens. Ceci est aussi vrai pour un contribuable qui n’a jamais été en affaires et qui ne possède pas d’actions dans une société privée. Sachant que l’écart des taux d’imposition entre le dividende et le gain en capital peut avoisiner 17 %, pourquoi alors l’entrepreneur décédé devrait-il payer ses impôts au décès sous forme de dividende? N’y a-t-il pas là injustice et iniquité ?Les besoins d’assurance vie des entrepreneurs ont été établis sur la base de cette technique du pipeline dans plusieurs cas. Aujourd’hui, sans régime transitoire et peu d’avertissements concrets, on augmente de plus de 50 % sa facture d’impôts au décès. Pour éviter de devoir liquider l’entreprise pour financer les impôts au décès et afin d’honorer leur dette fiscale, les propriétaires d’entreprise ont recours aux polices d’assurance vie depuis des décennies. Afin d’affronter cette charge d’impôts supplémentaires, il faudra recourir à de l’assurance vie supplémentaire dans certains cas si on ne veut pas liquider l’entreprise. Les coûts supplémentaires d’assurance vie risquent d’être prohibitifs si le temps a passé depuis la souscription à la police. L’entrepreneur pourrait même ne plus être assurable.
Nous déplorons l’absence de règle transitoire d’une part, et d’autre part, nous nous questionnons à savoir pourquoi il faudrait remettre en question, voire éliminer, la technique du pipeline pour les successions d’entrepreneurs, technique vénérable dans son objectif d’empêcher la double imposition, et dont la popularité actuelle n’est tributaire qu’au fait que le taux d’imposition du gain en capital actuel en est nettement plus avantageux que celui du dividende.
Quant aux modifications proposées à l’imposition des revenus passifs
- De façon générale, les solutions à l’étude sont beaucoup trop complexes pour les propriétaires d’entreprise qui méritent de bénéficier d’un régime fiscal compréhensible et prévisible. Les mesures exposées et encore plus les mesures transitoires vont causer des maux de tête à leurs comptables.
- Le système actuel fonctionne mieux que ce qui est proposé. D’autres analystes ont fait la preuve que les sociétés de gestion sont un véhicule dans lequel le gouvernement a sa part et y trouve son compte au même titre que l’investisseur. L’investisseur souhaite ardemment maximiser son rendement et, tôt ou tard, il enverra environ la moitié de ses revenus de placements au gouvernement. Les impôts qui ne sont pas perçus sur-le-champ par le fisc fructifient dans les mains d’experts en la matière : les investisseurs.
- Le report est ainsi un moyen pour le gouvernement d’obtenir un rendement intéressant sur ces impôts non perçus. Paradoxalement, ces impôts au rendement composé vont augmenter les recettes de l’État et pourront bénéficier à l’ensemble des contribuables. Percevoir immédiatement les impôts sur les revenus de placement ne fait que des perdants : l’investisseur, qui se prive de rendement supplémentaire, le fisc qui renonce à un rendement supérieur sur ces impôts en se fiant aux qualités d’investisseurs de ses contribuables et enfin, la population en général qui serait privée de recettes fiscales plus élevées dans le temps. Les réinvestissements défaillants vont aussi freiner la croissance économique. Il y a donc perte de richesse généralisée.
- Le signal que l’on envoie aux investisseurs est qu’il sera non seulement périlleux financièrement d’investir dans des petites PME avec du potentiel, mais tout aussi périlleux fiscalement. On peut s’attendre à du désinvestissement de la part de ces contribuables et encore une fois, perte d’occasion de croissance du PIB. Nous voyons difficilement comment cela aide les gens de la classe moyenne à mieux tirer leur épingle du jeu. Le contraire est à prévoir, c’est-à-dire que certaines PME vont devoir contracter leur masse salariale suite à ces augmentations d’impôts et des mises à pied sont à prévoir.Le revenu passif corporatif, selon les scénarios présentés, peut atteindre des taux avoisinant 73 % au Québec une fois les revenus de placements remis aux actionnaires. Des impôts de cette ampleur sont prohibitifs et risquent fort de créer l’effet inverse de celui recherché. On peut s’attendre à des fuites de capitaux et de talents. Toutes les études et expériences sur la surtaxation aboutissent au même résultat : recrudescence de l’économie au noir et perte de confiance dans le système fiscal.
Commentaires généraux et conclusions
- Si le gouvernement veut cibler certaines industries, qu’il ait le courage de le faire plutôt que de pénaliser la masse.
- Ce ne sont pas toutes les PME qui valent des millions, la plupart faisant partie de la classe moyenne. Il est injuste de les pénaliser alors que l’on aspire à aider cette classe où qu’elle soit.
- On met en place une telle réforme au moment même où notre voisin du Sud veut baisser le taux d’imposition des sociétés de quelque 15 % pour le ramener à 20 %! Nous empruntons le chemin inverse au Canada. Si les mesures annoncées se concrétisent de part et d’autre, des pertes de recettes fiscales importantes sont à prévoir considérant la mobilité de certaines entreprises, ce qui pourrait causer des exodes importants de capitaux et des pertes d’emplois canadiens à coup sûr.
- Au lieu de cultiver la lutte des classes, pourquoi le gouvernement n’expliquerait-il pas à sa population comment créer de la richesse, pourquoi l’aide fiscale aux PME est-elle cruciale pour une économie en santé et comment les PME contribuent à l’économie et que cette façon de faire est existante dans la grande majorité des pays industrialisés depuis de nombreuses décennies.
- Le document faisait paraître les entrepreneurs comme des tricheurs et des profiteurs. Le système existe depuis 45 ans et si les techniques sont si répandues, ce n’est définitivement pas à l’insu du gouvernement. Comparer les employés aux propriétaires de PME revient à comparer des pommes et des oranges. On n’a qu’à penser aux risques assumés, aux heures passées non rémunérées, au fonds de pension inexistant, au régime d’assurance maladie privée à financer à 100 %, à l’inadmissibilité à l’assurance-emploi, etc.
- On parle d’injustice à plusieurs endroits dans la documentation afférente; chacun est libre de choisir sa poursuite du bonheur au Canada en choisissant le métier qui lui permettra de l’atteindre. Chacun de ces choix comporte ses avantages et ses inconvénients. Nous prétendons que l’on ne peut s’attarder que sur les avantages des uns sans mettre en perspective les désavantages inhérents ou encore les avantages des autres.
En conclusion, nous sommes conscients que la législation fiscale peut être revue et modifiée dans certains aspects. Cependant, considérant l’ampleur des changements proposés et du peu de temps alloué pour les consultations, nous vous suggérons fortement, Monsieur le Ministre, de reconsidérer ces propositions et de nommer un comité de travail formé d’experts de toutes les sphères de l’activité économique concernées par ces mesures (universitaires, praticiens, fonctionnaires, auteurs, économistes, etc.) dans le but d’obtenir un résultat équitable pour tous.
Les enjeux sont trop grands et les conséquences néfastes trop grandes dans tout le pays pour précipiter une réforme de cette ampleur.
Blanchette Vachon, s.e.n.c.r.l.